La fugue est la forme musicale polyphonique la plus complexe, impliquant l’imitation entre les parties (appelées » voix” qu’elles soient vocales ou instrumentales). Le mot fugue vient de fuga, signifiant chasser puisque chaque voix « poursuit” la précédente.
La composition d’une fugue commence par le choix d’un thème musical d’un genre particulier appelé le sujet. Dans la section initiale d’une fugue, appelée exposition, ce sujet est présenté à tour de rôle dans chacune des voix, la première voix commençant par elle—même, de la même manière qu’une ronde est chantée – c’est le signe révélateur d’une fugue. Le sujet est d’abord présenté sous sa forme originale (appelée le dux—leader) dans la touche home, la tonique. La deuxième voix présente le sujet dans la tonalité de la dominante, c’est-à-dire une quinte vers le haut ou une quarte vers le bas. Cette forme du sujet s’appelle le comes, ou « compagnon. »Le vient peut être soit exactement comme le dux, transposé à la dominante, auquel cas la fugue est dite réelle, soit modifiée pour ne pas trop s’égarer harmoniquement, auquel cas la fugue est dite tonale. Dans ce dernier cas, utilisé lorsque le sujet s’appuie fortement ou va à plusieurs reprises à la tonique et à la dominante, les hauteurs sont souvent modifiées plutôt que simplement transposées, de sorte que chaque note tonique du dux est une dominante dans le vient et vice versa. Le résultat est une forme mélodique modifiée. À titre d’exemple, la fugue en Motet BWV 226 Der Geist hilft à « Der aber die Herzen” a pour deux premières notes (longues) de Fa et de si bémol, c’est-à-dire la dominante et la tonique, dans le dux. Le comes commence plutôt par Si bémol et fa, la tonique suivie de la dominante, et donc par un saut de quinte plutôt que de quarte.
Comme le sujet est présenté à tour de rôle par chacune des voix de l’exposition, la voix qui vient de terminer le sujet aura souvent une autre phrase musicale (appelée contre-objet) qui fonctionne comme un accompagnement mélodique du sujet. Cela contribue à l’intérêt de la fugue. Certaines fugues, comme la familière fugue en do mineur du premier volume du Klavier bien tempéré de Bach, ont de multiples contre-objets. Après que l’exposition a présenté le sujet dans toutes les parties, avec ou sans contre-objet, la fugue alterne les sections où le sujet est présent et où il ne l’est pas. Ces dernières sections sont appelées divertimenti, ou épisodes, et la fonction de celles-ci est en partie de moduler en différentes touches. Souvent, des parties du sujet sont utilisées dans des épisodes pour l’élaboration, le plus souvent sa tête.
Les fugues les plus complexes présentent diverses techniques d’élaboration du thème. Il s’agit notamment de la diminution et de l’augmentation (où les durées de chacune des notes du sujet sont réduites de moitié ou doublées), de l’inversion (où le sujet est à l’envers) et, plus rarement, de la rétrogradation (où le sujet est présenté à l’envers) ou même de leurs combinaisons (telles que l’inversion augmentée). Vers la fin de la fugue, il y a généralement une section stretto (« étroite”), où le sujet est présenté dans toutes les parties, comme dans l’exposition, mais les voix successives n’attendent pas que les voix précédentes terminent le sujet avant de sauter, chevauchant ainsi une présentation du sujet sur la suivante. Ainsi, un compositeur souhaitant écrire une fugue doit non seulement posséder un talent et une habileté considérables, mais aussi connaître et respecter un ensemble de règles et de conventions complexes. Le sujet d’une fugue doit être une phrase musicale capable d’être empilée sur elle-même en plusieurs parties, puis suffisamment distinctive pour sortir d’une texture polyphonique épaisse et apte à être comprimée, développée et élaborée de manière variée.
Il existe des exemples de doubles fugues (dont Bach aimait beaucoup), ou de fugues à deux sujets. De telles fugues peuvent présenter les sujets ensemble tout de suite ou, le plus souvent, présenter le premier dans une exposition complète suivie au bout d’un certain temps d’une exposition du second, et éventuellement en combinaison. Un exemple de fugue double est la fugue Amen dans la cantate BWV 196, où les deux sujets sont présentés immédiatement en combinaison.
Un type particulier de fugue chorale que Bach a également aimé est la » fugue à permutation », qui se passe complètement d’épisodes et comporte une multitude de fragments thématiques qui circulent entre les voix en succession immédiate. Par exemple, la première voix peut chanter successivement le sujet 1 (forme dux), le sujet 2 (vient), le sujet 3 (dux), le sujet 4 (vient), puis répéter la même chose; la voix suivante à entrer chanterait la même succession de sujets dans l’ordre mais inverserait l’ordre de la forme (comes, dux, comes, dux). Un exemple de ce type de fugue se trouve dans le premier mouvement de la cantate BWV 196.
Le plaisir de composer une fugue est celui de se mettre au défi d’écrire une musique délicieuse tout en suivant les règles de composition les plus complexes et les plus anciennes. L’écoute d’une fugue offre de multiples couches de plaisir. Ce qui, à la première exposition, pourrait être la simple expérience d’une seule ligne se transforme ensuite en l’expérience d’une texture complexe, avec l’excitation de choisir les apparences successives du sujet. Chaque écoute successive révélera d’autres couches de contrepoint, des points d’imitation, des instances cachées du sujet… ou pas ! Parfois, le sujet, transformé, est si habilement caché qu’il ne se révélera que dans un Eurêka ! moment lors d’une étude approfondie de la pièce. Il n’est pas rare que les interprètes aient joué ou chanté une fugue pendant des années et pensent qu’ils la connaissent vraiment à l’envers, puis quelque chose auparavant inaperçu ou « mal classé” apparaîtra et les fera sauter dans leur siège. Une fugue est donc un dépôt pratiquement infini de découvertes et de plaisir d’interprétation et d’écoute.