Le terme auto-préservation dans sa définition la plus simple décrit à la fois l’ensemble des comportements au moyen desquels les individus tentent de préserver leur propre existence et les processus psychiques qui établissent ces comportements.
Dans une première période de son travail, Freud a associé ces comportements aux instincts sexuels. Il a affirmé que la vie d’une personne est conditionnée par deux forces majeures: les instincts d’auto-préservation, au moyen desquels les gens préservent leur propre existence, et les instincts sexuels, au moyen desquels ils assurent la survie de l’espèce. Il a affirmé qu’il s’agissait de données biologiques fondamentales, ajoutant que, comme l’illustre la simple observation, elles peuvent être opposées dans des conflits qui aboutissent à l’essentiel de la dynamique psychique.
Bien que la notion d' » auto-préservation » elle-même n’apparaisse que plus tard, on la trouve préfigurée dès 1895 dans « Un Projet de Psychologie Scientifique » (Freud, 1950a), dans lequel Freud accorde une importance majeure à l’attention considérée comme la cathexie des processus de perception et de pensée par l’ego à des fins d’adaptation. Il n’a cependant formulé explicitement sa thèse qu’en 1910 dans un article sur « La Vision Psychanalytique de la Perturbation Psychogène de la Vision » (1910i, pp. 209-218), où il évoquait » l’opposition indéniable entre les instincts qui sous-tendent la sexualité, la réalisation du plaisir sexuel, et les autres instincts, qui ont pour but la conservation de l’individu, les instincts de l’ego » (p. 214). Il devait revenir sur cette question et en discuter plus en détail dans « Les Instincts et leurs vicissitudes » (1915c, p. 124): « J’ai proposé de distinguer deux groupes de tels instincts primaux: les instincts de l’ego, ou auto-conservateur, et les instincts sexuels. »Il a ajouté avec prudence — et un peu en deçà de son affirmation antérieure selon laquelle il s’agissait de « données biologiques fondamentales » — qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse de travail.
Dans ce passage, nous remarquons que conformément à la démarche ouverte dans le « Projet », il considère les « instincts auto-conservateurs » et les « instincts de l’ego » comme des termes équivalents et qu’ils sont bien des instincts. Cependant, « Comme l’a dit le poète, tous les instincts organiques peuvent être classés comme « faim » ou « amour » » (1910i, p. 214-215). Cela soulève la question de savoir ce qu’est un besoin purement organique (Berdürfnis), ce qu’est un comportement instinctif (Instinkt, au sens de comportement préformé et exécuté automatiquement), et ce qu’est une pulsion (Trieb, au sens d’un « concept limite » entre l’organique et le psychique). Freud devait être beaucoup plus explicite sur cette question par rapport à la psychosexualité que par rapport à la préservation de soi, qui était quelque peu reléguée à l’arrière de ses préoccupations théoriques. Cette opposition-complémentarité joue néanmoins un rôle important dans la théorie selon laquelle les instincts sexuels sont liés aux instincts de conservation de soi, basée sur le premier cas de succion (1905d), et dans l’opposition entre le principe de plaisir et le principe de réalité: les instincts de l’ego forcent le chemin vers le principe de réalité, tandis que les instincts sexuels restent beaucoup plus durablement au service du principe de plaisir (1911b).
Avec l’arrivée de la théorie structurelle et de la deuxième théorie des instincts opposant instincts de vie et instincts de mort, la question prend de nouvelles dimensions. Tous les instincts sont maintenant considérés comme libidinaux alors que l’ego — au détriment de sa fonction largement inconsciente — prend plus clairement en charge toutes les fonctions adaptatives (au service de l’un de ses « maîtres », la réalité du monde extérieur, bien que simultanément tyrannisée par les deux autres, l’id et le surmoi). Le résultat est que, dans la théorie structurelle avec la notion de conflit entre les agences, le statut de la notion d' »auto-préservation » devient relativement incertain et l’expression « instincts de l’ego » tend à disparaître du vocabulaire freudien.
Cependant, plusieurs tendances post-freudiennes ont de nouveau mis en évidence la valeur des notions d’instinct de conservation de soi et d’instinct d’ego, en particulier l’école psychosomatique de Paris (Marty, 1990).
Roger Perron
Voir aussi : Anaclisis / anaclitique; Pulsion /instinct; Ego-instinct; Éros; Pulsion sexuelle; Violence, instinct de.
Bibliographie
Freud, Sigmund. (1910i). La vision psychanalytique de la perturbation psychogène de la vision. SE, 11:209-218.
–. (1911b). Formulations sur les deux principes du fonctionnement mental. SE, 12:213-226.
–. (1915c). Instincts et leurs vicissitudes. SE, 14:109-140.
–. (1950a). Extraits des papiers Fliess. SE, 1:173-280.
Marty, Pierre (1990). La Psychosomatique de l’ adulte. Paris : Presses Universitaires de France.